Les sortilèges de Mercure : extraits

Couverture Sortilèges

Mon ami

Entre, ami,
Comme entre la rumeur sourde
Comme entre le secret étouffé
Sous les pas les lattes de bois
Le ciel s’assombrit
Et le cœur qui s’enfonce
Qui palpite et qui craque
Là dans la forêt

Entre, te dis-je,
Saisis le crépuscule
De tes mains émaciées
Guides aveugles
Dans les ténèbres
Pour saisir la lumière
Ici
Dedans
Car le salut est dans le mystère
Dans la cassure de nos passions

Entre, mon cruel ami,
Comme entre le frisson glacial
Comme entrent les cris élevés
Dans les taillis acidulés
La nuit maintenant surgit
Et le corps qui fléchit
Qui s’appesantit et qui hurle.

L’éveil

Quand les parfums se font lourds d’incertitude
Quand la lune s’évanouit
Comme les loups
Apparaissent
Quand l’obscurité glisse entre tes doigts
Comme la bruine
Sur une terre noire et boueuse
Quand l’angoisse étreint soudainement ton cou
Que les rires infantiles se perdent en oubli
Et que les rives des marécages
Se découpent à présent
Nues
Quand l’amour se défait
D’avoir trop aimé
Quand l’absence fige tes bonheurs
Et les dénoue
Un à un

Les diables
Désossés
T’enlacent

Quand leurs cris broyés par la fureur du ciel
Le hibou ulule à son tour
La grue sauvage craquette
Les herbes rouges
Se couchent devant tes yeux
Et l’hallucination sournoise se promène devant l’abîme
De ton cœur

Tu pleures
Et la présence monstrueuse de tes remords
Te tient
Eveillé.

La rose blanche

Tu es ancré et porté
Au-delà du temps
Sur les pétales mêmes
D’une rose blanche
Tu regardes le monde
Qui chante
Qui vole la gloire de celui qui l’embrase
Par les yeux d’un ange endormi
A la fois
Vêtu de blanc
Que jamais neige n’atteint
A la fois
Le visage couvert de flammes
Que le soleil inonde d’empressement.

Tu es le jour la nuit
Les heures le moment
Un rêve de toi-même
Mis en présence de ton passé
Mis en présence d’un devenir possible.

Dans ce royaume
Tranquille et plein de joie
Où t’accueille bientôt
Le zélé Mercure
Tu penses au monde
A nouveau
Au mouvement de la vie
De la mort
A l’écartèlement de l’espace
Tu sens
A nouveau
Le baiser muet de l’amour
Qui te lie et te délie
Au rythme du désir.

Incarnation

Ton être est écrit avec la terre
Avec le soleil avec la chair et les os
Avec un doux baiser
Un feu éternel
Immuable
Dans un demi-rêve
Les paupières closes
Ton être est écrit
Avec la colombe et l’aigle victorieux
Avec des songes qui t’enveloppent
En spirales
Dans la glaise et l’argile
Ton être est écrit avec l’encre du temps
La sueur le sang et l’eau
Dans l’étreinte et l’oubli
Dans l’extase d’une folie.

L’éveil attend son heure
Au milieu du silence
De l’équivoque et de l’absence.

Ton être est écrit
Avec le blanc des yeux et
Le rouge du cœur
Maintenant devant lui
Ton esprit sort de ses gonds
Un art nouveau
Une poésie ténébreuse.
Tes mots se perdent dans le vent
Dans les rues dans les bois
Tes mots apprennent maintenant
La colère la joie
L’amour qui attend
Dans la clarté du jour à venir
Et les sourires discrets.

Ton être, te dis-je, est écrit
Avec le sable mouvant
Le minerai de l’âme
L’essentiel et le superflu
Le bourdonnement d’une abeille
Quand elle cogne la fenêtre de tes pensées

Le triomphe du jour
Voici que surgit à toi
Celui qui te délivre
Le géomètre du tout
Mercure aux ailes innocentes
Et lui à toi : « Nous voilà
A l’instant où tout se sait
Où tout s’oublie
Et pour porter ton voyage
A son terme
Retiens ces heures dans ta mémoire
Comme la lune l’éclat
Comme le soleil la lumière
Tu sais à présent
Ce que parler veut dire
Ce que rêver implique
Et ce que vivre exige
Une nouvelle lumière t’est donnée
Sans savoir
Crois-tu
D’où elle vient
D’ores et déjà
Tu écris pour être
Ce que tu aimes. »
Ton être est écrit
A l’ombre du rêve
De la chevelure d’une comète
Du génie du poète.